La Turquie Chrétienne

Nous ne nous y attendions vraiment mais alors vraiment pas : il y a une foi chrétienne bien vivante en Turquie. Nous avons passé la journée d’hier à visiter des monastères et des églises chrétiennes syriaques et à rencontrer des chrétiens, parfois âgés et nostalgiques d’un passé où ils étaient plus nombreux, mais parfois jeunesaussi. A deux reprises nous avons rencontré des jeunes, qui parlaient et lisaient l’araméen, la langue de Jésus ! Sinoë a même eu l’audace de leur demander de nous parler en araméen et nous avons pu faire un saut de 2000 ans dans le temps. L’araméen était la langue dominante dans les 1500 années qui ont précédé la montée de l’Islam. C’est un langage sémitique, comme l’hébreu et le phénicien – qui est connu pour être la première langue écrite avec un alphabet –.Aujourd’hui, ils lisent l’araméen mais parlent le syriaque, une langue qui descend directement de l’araméen : le syriaque classique est écrit sur les vieux monuments à Urfa, Mardin et Diyarbakir. Et ils parlent le TUROYO – syriaque moderne – développé dans les années 1980 et écrit en alphabet latin.

L’homme qui nous a présenté à BARISTEPE le monastère de MOR YAKUB, datant de l’an 400 après Jésus-Christ, et dans lequel les cultes sont encore célébrés tous les dimanches, nous a expliqué que l’araméen était désormais une langue de liturgie qui demande d’être étudiée pendant plusieurs années. 50 000 personnes dans le monde parleraient le Turuyo, et toujours d’après notre livre guide, 80% d’entre-eux vivraient actuellement en Suède, chiffre confirmé par les personnes que nous avons rencontrées et qui ont aussi cité la France et la Belgique comme pays de destination et certains étaient capable de citer trois ou quatre familles au Brésil, 1 famille au Chili. En effet, la communauté syriaque formait une large proportion de la population de la région jusque dans les années 1960. Aujourd’hui ils vivent dans 20 villages. Les autres habitants sont kurdes. Mais depuis les années 2000, il semblerait qu’il y ait un regain d’intérêt par les immigrants qui réinvestissent des fonds dans leurs églises d’origine. (Ankara’nin Dogusundaki Türkiye - Eastern Turkey de Sevan NISANYAN et Müjde NISANYAN – éditions BOYUT Yanin Grubu).

Mais à plusieurs reprise, on s’est demandé comment ces populations n’ont pas migré plus tôt car sous le soleil d’été, les lieux sont franchement austères, limite désertiques. Les paysages de la région de Mydiat, au nord de Mardin, sont d’ailleurs semblables à nos manuels de catéchisme de notre jeunesse : des collines arides avec ça et là des champs cultivés, pour l’essentiel de la vigne, et parsemés de quelques arbrisseaux. Sur l’une ou l’autre des collines, un village couleur terre, de pierre et de poussière, avec non pas un minaret dominant la colline mais un clocher !

Autrefois, les villages étaient entièrement peuplés de chrétiens. Aujourd’hui, il y a souvent un mélange de musulmans et de chrétiens. A Altuntas, un des villages visité hier, on dénombre encore 16 familles chrétiennes et 22 musulmanes. Et d’après notre épicier d’Istanbul – qui est originaire de la région de Midyat – les uns et les autres s’entendraient plutôt bien ! Ceci nous a d’ailleurs été confirmé par d’autres personnes rencontrées.

Déjà à Mardin, lors de notre premier arrêt, lorsque nous y avions retrouvé Jibé et Stéph, nous avions dormi au pied d’un monastère orthodoxe où les cultes se poursuivaient 3 fois par semaine mais où la plupart des moines avaient rejoint la communauté de Sham en Syrie. Chaque année, le jour de la Sainte Marie, il y avait des processions jusqu’en Syrie. Ce monastère-là était fréquenté et aménagé pour le tourisme, mais n’était pas complètement un musée : il y avait encore une communauté active.

Ceux que nous avons visités hier étaient absolument en dehors des sentiers battus mais bien vivants eux aussi. Situés dans des petits villages perdus, mais dont les routes, réputées pour être impraticables avaient cependant été refaite récemment et les églises pour la plupart rénovées récemment grâce à l’argent envoyé par la diaspora. L’une d’entre elles, notamment, à ALTINTAS, l’église MOR IZOZOEL – ST AZAZIEL- a fêté l’inauguration de sa rénovation la veille de notre passage : nous avons assisté au grand nettoyage d’une fête qui avait accueilli pas moins de 600 personnes revenues d’Europe pour l’occasion. Le pope de l’Eglise de MOR DIMITRI, lui, n’avait pas cette chance, dans son petit village, il n’y avait plus un seul chrétien et tous les autres étaient partis et ne revenaient au village qu’exceptionnellement : partis au Canada, Etats-Unis, Allemagne, Suède, Suisse ou en Belgique. Pourtant, son église est un lieu chargé d’une histoire riche qui pourrait parfaitement être le support d’une mémoire et être l’objet d’une émulation de la diaspora comme dans les autres villages cités par le guide. Elle est bâtie sur un site zoroastrien – religion créée en Perse par Zaratoustra – et dans la crypte de l’église, on voit encore l’endroit où la flamme divinisée était accrochée et où les sacrifices avaient lieu pour louer le Dieu Soleil. Dans la crypte, nous avons pu retrouver le même système de climatisation qu’à Yazd, en Iran : une cheminée d’air venant de l’extérieur, sous laquelle on pose des bassines d’eau qui permettent de refroidir l’air avant qu’il n’atteigne l’intérieur de la pièce.

Ailleurs, il nous a montré des pierres réutilisées provenant d’un ancien château et d’un ancien monastère sur lequel est bâtie l’actuelle église. Nous avons même pu deviner une pierre sur laquelle il y avait des inscriptions cunéiformes des premiers hommes à avoir inventé l’écriture : juste après les Phéniciens, les SUMERIENS. Il y avait également de nombreuses pierres portant l’emblème d’une des premières communautés chrétiennes dont j’ai oublié le nom. Sur la face de l’église, un fossile de serpent de mer attestait que des millions d’années plus tôt, l’endroit était sous l’eau. Une cuve à vin jouxtait l’église. Du regard de ce pope, comme du vieil homme que nous avions rencontré dans un village proche d’Halfeti que l’eau du barrage avait presque entièrement recouvert et où ne vivaient plus que 7 personnes, émanait un étrange sentiment. Nous sommes repartis avec l’impression d’avoir trop abrégé cette rencontre qui pourtant s’est avérée intense. Un regard triste et doux, serein et sincère : un regard intense, voilà, quelque chose comme ça. Un regard de quelqu’un qui a vécu 5 000 vies sans avoir perdu son âme pour autant. Lui, il avait vécu au Danemark, en Allemagne et en France avant de revenir pour devenir le gardien de l’église.

Le monastère de MOR MERYEM ANA – Ste Marie -, nous a été présenté par un jeune homme qui étudie l’araméen à Sham, en Syrie. Il est revenu en vacances dans son village d’origine. Il nous a présenté la fondation de cet édifice comme étant liée à l’histoire des ROIS MAGES. Intéressant d’entendre la version locale du mythe… et vraiment curieux de se l’entendre raconter en turc… 12 rois de la région auraient été informés de la naissance du ROI DES ROIS, à Bethléem. Ils ont suivi l’étoile qui leur montrait la route et quand ils ont rencontré Marie, la mère de Jésus, celle-ci leur aurait donné en remerciement de leurs présents un morceau des langes de Jésus. A leur retour, leurs routes se séparaient à ANITCI, l’endroit où se situe le monastère actuel, et il leur fallait se partager la relique. A la place, ils auraient eu l’idée de la brûler et d’en respirer la fumée, seul moyen de partager un tout sans que l’un soit privé d’une partie. Un monument, ‘ANIT’ en turc, aurait été érigé en mémoire de Marie à cet emplacement et pendant 300 ans n’aurait été qu’un simple mémorial. C’est seulement au 4ème siècle qu’il serait devenu lieu de culte et l’est resté jusqu’à nos jours. En tout cas, il s’agit d’un monument chrétien datant du 2nd siècle qui le serait resté, ce qui est exceptionnel.

De ces visites, nous avons apprécié les témoignages des personnes encore bien ancrées dans leur culture, qui nous ont ouvert leur porte et qui ont partagé avec nous ce qui leur semble important à leurs yeux.



La perle du jour : -Comment s’appelle Jésus en turc ? -Bonne réponse : Isa (se prononce Issa) -Réponse d’une-de-nos-filles-qui-ne-veut-pas-qu’on-la-cite- : E.T.

Nous sommes maintenant à SAVUR, petite ville au nord de Mardin, dont les habitants ne se proclament pas moins que les descendants du neveu du prophète ! Ca va changer … 4 Les autres photos viendront plus tard !